En septembre 1922, Robert Oppenheimer entre à l’Université Harvard avec l’idée bien arrêtée d’étudier la chimie. Mais à peine quelques mois plus tard, il réalise que cette discipline ne lui suffit pas. Ce qui le captive vraiment, ce sont les lois fondamentales qui régissent la matière et l’univers : la physique.
Dès sa première année, il commence à dévorer des ouvrages sur la thermodynamique, les statistiques, et d’autres domaines complexes. À ses yeux, la chimie ne l’intéresse que lorsqu’elle commence à ressembler à de la physique. Son désir d’apprendre devient irrésistible, au point qu’en mai 1923, il écrit au département de physique pour demander une dérogation inhabituelle : il souhaite suivre un cours avancé de thermodynamique (« Physique 6a »), sans avoir jamais assisté au moindre cours de base en physique.
Dans sa lettre, il joint une liste impressionnante de quinze ouvrages spécialisés qu’il affirme avoir lus — certains tout juste publiés, d’autres réputés particulièrement ardus, notamment en physique quantique. Cette démarche audacieuse suscite à la fois l’étonnement et l’amusement des professeurs. L’un d’eux, George Washington Pierce, ironise : « S’il dit avoir lu tous ces livres, il ment probablement, mais il mérite quand même un doctorat rien que pour en connaître les titres ! »
Le département, intrigué par cette passion inhabituelle, finit par accepter. Oppenheimer est admis dans le cours, en dépit de son manque de formation formelle. Il commence alors à étudier avec Percy Bridgman, futur prix Nobel, un professeur exigeant et curieux que le jeune Oppenheimer admire profondément.
Mais derrière cet esprit brillant se cache aussi un tempérament tranchant, parfois trop sûr de lui. Un jour, invité à dîner chez Bridgman, Oppenheimer observe un tableau représentant un temple grec. Quand son professeur suggère que la construction date de 400 av. J.-C., il répond sans hésiter : « Je ne suis pas d’accord, d’après les colonnes, je dirais plutôt 50 ans plus tôt. » Il avait alors… dix-neuf ans.
Ce mélange de génie, d’audace et d’indépendance intellectuelle allait devenir la marque de fabrique de Robert Oppenheimer — l’homme qui, vingt ans plus tard, serait au cœur d’un projet scientifique qui allait bouleverser le monde.
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