La question posée repose sur une hypothèse que de nombreux historiens rejettent : l’idée selon laquelle l’Allemagne aurait pu sortir victorieuse de la Seconde Guerre mondiale. Cette analyse vise à démontrer les limites de cette affirmation.
Erwin Rommel : Un Stratège Contesté
Erwin Rommel (1891–1944) servit comme lieutenant pendant la Première Guerre mondiale, participant à des campagnes en France, en Italie et en Roumanie. La défaite allemande en 1918 fut pour lui une expérience amère qui marqua profondément sa vision de la guerre.
Après trente années de service militaire, il fut promu Generalfeldmarschall. Connu sous le surnom de « Renard du désert » pour ses actions en Afrique du Nord, il subit toutefois un revers stratégique qui n’entama pas la confiance que lui accordait Adolf Hitler. En 1944, il reçut le commandement d’un groupe d’armées stationné en France, en Belgique et aux Pays-Bas, chargé de la mise en place des fortifications défensives.
Rommel établit son quartier général au château de La Roche-Guyon, dans la vallée de la Seine, non loin de Mantes. Ce choix stratégique s’explique par la présence de vastes galeries creusées dans la roche, servant de refuge en cas de bombardements alliés.
Chargé de renforcer le Mur de l’Atlantique, Rommel écrivit à son épouse : « Les vingt-quatre heures précédant l’invasion seront décisives. Pour nous comme pour les Alliés, ce sera le jour le plus long. » Pourtant, lorsqu’a lieu le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, Rommel se trouve loin du front, dans sa résidence familiale d’Herrlingen, en Allemagne, où il célèbre l’anniversaire de sa femme.
En novembre 1943, Erwin Rommel est photographié avec son bâton de Generalfeldmarschall alors qu’il inspecte une position fortifiée du Mur de l’Atlantique.
Le 6 juin 1944, en fin de journée, Rommel retourne précipitamment à son quartier général situé au château de La Roche-Guyon. Mais son retour intervient trop tard : les forces alliées ont déjà solidement établi leur tête de pont en Normandie. Constatant l’ampleur de la situation, Rommel rédige un rapport dans lequel il tente de convaincre Hitler que la guerre ne peut plus être gagnée. Ses avertissements, cependant, sont ignorés.
Rommel et le complot contre Hitler
Dans l’ombre, Rommel est discrètement approché par des officiers supérieurs issus de l’aristocratie militaire prussienne, parmi lesquels le comte Claus von Stauffenberg. Ce dernier élabore un plan visant à assassiner Hitler. L’idée d’un attentat remonte à février 1943, au lendemain de la cuisante défaite allemande à Stalingrad. Bien que les motivations varient selon les membres du complot, tous s’accordent sur une nécessité urgente : arrêter le conflit pour éviter une destruction totale de l’Allemagne et des pertes humaines massives.
Le 9 juillet 1944, Caesar von Hofacker rend visite à Rommel à La Roche-Guyon. Il agit comme intermédiaire entre son cousin Stauffenberg et le général von Stülpnagel, commandant des forces allemandes à Paris. Si le complot réussit, Rommel est censé intervenir en tant que chef suprême de la Wehrmacht. Il aurait alors la mission de mettre en œuvre l’opération Walkyrie — initialement conçue pour contenir une rébellion intérieure — afin de prendre le pouvoir à Berlin. Une fois aux commandes, il envisagerait d’ouvrir des négociations rapides avec les Alliés occidentaux, à l’exclusion de l’Union soviétique.
Le maréchal Erwin Rommel et son chauffeur Karl Daniel.
ROMMEL MITRAILLE PAR UN AVION ALLIE
Or, les évènements ne vont pas tourner du tout, comme l'avaient prévu Rommel, Stauffenberg, et tous les conjurés.
D'abord, le 17 juillet 1944, assis à côté de son chauffeur, le maréchal roule sur une route normande entre Livarot de Vimoutiers. Il regagne son quartier général de La Roche-Guyon, à bord de sa grosse voiture, une Horch noire, découverte, la carte déployée sur ses genoux. Deux autres officiers de haut rang sont assis à l'arrière. Les aides de camp suivent dans une seconde voiture. Rommel entend soudain le vrombissement d’un avion. Un Typhoon de la Royal Air Force prend en chasse le convoi et le mitraille. Un obus de 20 mm frappe la capote qui est repliée et explose aussitôt. Rommel qui a la tête légèrement tournée, a la nuque truffée d'éclats, une fracture du crâne mettant son cerveau à nu, l'os malaire brisé, un oeil crevé et deux fractures de la tempe. Le chauffeur accélère pour se mettre à l'abri à hauteur de l'allée bordée d'arbres qu'il aperçoit plus loin à sa droite, il perd le contrôle de la voiture, percute un arbre sur le côté opposé de la route et se retourne dans le fossé. Rommel est éjecté et git sur la route, inconscient. Le chauffeur Karl Daniel, décédera dans la nuit.
La Voiture de Rommel : Une Épave Fumante
Après environ une heure d’attente, Rommel, toujours inconscient, est finalement évacué dans un camion de l’armée allemande. L’hôpital de Vimoutiers ayant été détruit, il est dirigé vers l’asile Saint-Joseph de Livarot, un établissement où, durant l'été, les religieuses s’occupent des civils blessés par les bombardements. À l’entrée de l’asile, un jeune homme, Jacques Bisson, membre de la Défense passive, travaille à la fromagerie familiale. Lorsqu’il aperçoit Rommel, il s’empresse de le brancarder et va chercher Marcel Lescène, pharmacien et maire de Livarot.
Le docteur Lescène examine rapidement le maréchal, posant le diagnostic d’une fracture du rocher, et lui administre une piqûre de camphre éthéré, après que Sœur Marie de la Croix ait déjà tenté d’apporter ses premiers secours. Un moment surprenant survient alors, comme l’a révélé plus tard Yves Bozec : un résistant nommé Yves Bozec, responsable de l'Organisation civile et militaire pour le canton, s’approche de Rommel, toujours inconscient, et avec l’aide de la sœur, tente de lui faire boire du Calvados pour le réanimer. Après ces soins, Rommel est finalement transporté vers l'hôpital de la Luftwaffe à Bernay.
Stauffenberg échoue dans son attentat contre Hitler
Le dimanche 23 juillet 1944, à cinq heures du matin, profitant d’un moment de calme sur le front, une ambulance transporte le maréchal Rommel à l’hôpital du Vésinet, près de Saint-Germain-en-Laye. C’est là qu’il apprend que l'attentat contre Hitler, mené par Stauffenberg, a échoué. Le Führer a survécu à l’attaque.
Rastenburg (Prusse orientale), « Wolfsschanze », le Quartier Général de Hitler. Attentat du 20 juillet 1944 : Martin Bormann (à gauche, vu de profil en manteau de cuir), Hermann Göring (en uniforme clair) inspectent les dégâts.
L’opération « Walkyrie » ne sera finalement pas lancée. En effet, dans la soirée même, les conspirateurs impliqués dans l’attentat ont été arrêtés. Cinq d’entre eux ont été exécutés sommairement, sans jugement, dans la cour du bâtiment Bendler à Berlin.
Berlin, Mémorial de la Résistance allemande (Gedenkstätte deutscher Widerstand), plaque commémorative dans la cour du Bendlerblock en hommage aux cinq conspirateurs fusillés.
Rommel contraint au suicide sur ordre du Führer
Au cours de son rétablissement à l'hôpital du Vésinet, Rommel reçoit la visite du baron H.G. von Esebeck, correspondant de guerre allemand. Lors de leur conversation, Rommel évoque le rapport qu’il avait adressé à Hitler, affirmant que la guerre était perdue. Il exprime une amertume particulière concernant les défaillances de la Luftwaffe. Cependant, il n'évoque pas dans sa lettre l’attentat contre le Führer. Le 8 août 1944, Rommel est ramené en Allemagne, dans sa résidence familiale à Herrlingen.
Erwin Rommel, sa femme Lucie et son fils Manfred à Herrlingen. (Photo fournie par Haus der Geschichte Baden-Württemberg).
Le samedi 14 octobre 1944, alors qu'il est encore en convalescence, Rommel reçoit la visite des généraux W. Burgdorf et E. Maisel à Herrlingen. La maison est encerclée par des soldats des SS. Burgdorf annonce à Rommel que Stauffenberg et les autres conspirateurs ont été capturés à Berlin après l'attentat raté du 20 juillet. Ils ont été soumis à des interrogatoires et ont accusé Rommel d'être leur successeur désigné en cas de renversement du Führer. Hofacker, qui avait rendu visite à Rommel à La Roche-Guyon, a également été arrêté à Paris. Après avoir été transféré au QG de la Gestapo à Berlin, il a avoué sous la torture avoir impliqué Rommel dans le complot, citant une phrase qu’il lui aurait attribuée : « Dites à ceux de Berlin qu'ils peuvent compter sur moi. »
Face à ces accusations, Hitler ordonne à Rommel de se suicider. Dans le cas contraire, sa femme Lucie et son fils Manfred, âgé de 15 ans, seraient punis par la loi des représailles familiales (Sippenhaft). Rommel, après avoir pris congé de Lucie et Manfred, quitte la maison et ingère la capsule empoisonnée que lui remet Burgdorf. Ce suicide "forcé" visait à éviter un procès pour haute trahison devant la Cour du Peuple (Volksgericht), un tribunal politique nazi présidé par le redoutable procureur Roland Freisler. Officiellement, l’opinion publique allemande est informée que Rommel est décédé à la suite d’un accident de voiture. Le 18 octobre 1944, l’Allemagne organise de grandes funérailles pour honorer le Generalfeldmarschall, un chef militaire adoré du peuple.
Conclusion
Pour répondre de manière claire à la question initiale, il est évident que "la guerre n'aurait pas été gagnée si Hitler avait écouté Rommel". Ce dernier cherchait à convaincre le dictateur nazi qu'il était plus sage de capituler et de négocier une paix séparée avec les Alliés occidentaux. Les membres du groupe von Stauffenberg comprenaient qu'il était impossible de gagner cette guerre et voulaient mettre un terme à ce carnage insensé.
Il est crucial de se rappeler qu’il y eut des Allemands qui, à un moment donné, se sont rebellés contre Hitler. Bien que cette révolte fût davantage dirigée contre la continuation d'une guerre déjà perdue que contre les crimes du régime nazi, il est important de noter que ces hommes furent exécutés en tentant de mettre fin à la guerre.
Winston Churchill a déclaré à propos de Rommel : « Il mérite également notre respect, car, bien qu'il fût un soldat loyal au service de l’Allemagne, il apprit à détester Hitler et ses crimes, et rejoignit le complot de 1944 pour sauver l'Allemagne du tyran fou. Il en paya le prix de sa vie. » En Allemagne, une vingtaine de casernes portent aujourd’hui le nom d’Erwin Rommel.
Rommel demeure l’un de ces hommes d’honneur dont l’action a posé les bases morales et intellectuelles d’une nouvelle Allemagne.
À lire
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Ian Kershaw, La Chance du diable. Le récit de l’opération Walkyrie, Paris, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », 2009.
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Benoît Lemay, Erwin Rommel, Paris, Perrin, 2009.
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Dominique Lormier, Rommel : vie et mort d'un maréchal, Marseille, Caraktère, coll. « Ligne de front / Hors-série » (n° 6), 2009.
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Jean-Paul Picaper (préf. Horst Köhler), Opération Walkyrie : Stauffenberg et la véritable histoire de l'attentat contre Hitler, Paris, Archipel, 2009.
en référence à la source :https://qr.ae/pAMMvz
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